La Danse cosmique : du microscopique à l’infini

L’éditrice de Thames & Hudson Jane Laing a rencontré Stephen Ellcock, auteur de “La Danse cosmique“, un livre conçu pour explorer “l’extraordinaire richesse et l’étrangeté du cosmos”.


Jane Laing : Comment décririez-vous le concept global de votre livre ?

Stephen Ellcock : C’est la tentative de fournir une vision unifiée de la création à travers un voyage allant du microcosme au macrocosme, une itinérance visuelle qui va des plus petites manifestations de l’existence à la vastitude de l’espace et du cosmos.

Souvent les représentations d’idées traditionnelles ont été utilisées pour renforcer les hiérarchies en vigueur. Avec mon travail j’essaie justement de renverser cette tendance et de donner vie à quelque chose d’égalitaire. J’aspire à préserver la multiplicité des choses, leur extraordinaire richesse et étrangeté, en tant que parties distinctes d’un tout, plutôt que comme des éléments isolés. Trouver des correspondances et des connexions entre les images, les cultures, entres les différentes croyances, c’est sans doute l’aspect le plus enthousiasmant du travail que je pratique sur les réseaux sociaux depuis désormais une dizaine d’année. Aujourd’hui, j’aime mieux penser visuellement que verbalement et je crois que la simple juxtaposition de deux images peut parfois exprimer une idée que des milliers de mots ne suffiraient pas à retranscrire. Dans mon livre, les images sont souvent juxtaposées de façon surprenante, ce qui donne lieu à des jeux de miroir. Même les images les plus familières peuvent revêtir un sens nouveau lorsqu’elles sont associées audacieusement. En même temps, certaines combinaisons et assemblages visuels restent assez prévisibles, je pense par exemple à la licorne en captivité et à l’oiseau d’Hermès du Manuscrit de Ripley. J’espère que ces associations pourront émerveiller les lecteurs et séduire à la fois l’œil et l’esprit.


Oiseau aux ailes dorées, The Ripley Scroll, v. XVIe siècle

L’unicorne en captivité (tapisserie), Maître de la Chasse à la licorne, v. 1500

Il y a presqu’un côté ludique. Le livre est une sorte de puzzle visuel que l’on peut regarder sans cesse. Il se prête à de multiples lectures et interprétations. Quand je poste quelque chose sur les réseaux sociaux, ce n’est pas la plus grandiose des œuvres d’art que j’ai envie de mettre en avant mais plutôt une image capable de parler de sujets qui me tiennent à cœur à ce moment précis et qui fait écho à d’autres images que j’ai en tête. Je peux poster des œuvres mineures d’artistes majeurs si elles reflètent mes préoccupations du moment. Je me refuse d’expliquer mes choix et ce sera intéressant, à travers le livre, de voir s’ils résonnent aussi chez le lecteur. Je tente également de proposer un commentaire sur l’état actuel du monde.

L’ouvrage n’est pas prescriptif. Les lecteurs peuvent créer leurs propres correspondances. Il est important pour moi qu’ils s’approprient les images et qu’ils s’en imprègnent, afin qu’ils puissent donner libre cours à leur esprit critique et ainsi découvrir par eux-mêmes des grilles de lecture, des significations et des trajectoires nouvelles.


La création des cieux, Flandres, v. 1475

«Sol» (Soleil), Description des huit spectacles présentés lors des Jeux à l’occasion du baptême de la princesse Élisabeth de Hesse, 1596

Jane Laing : Le livre rassemble une énorme diversité d’images toutes aussi surprenantes et extraordinaires les unes que les autres. Quelle est leur provenance ? Pourriez-vous nous en dire plus sur votre processus de recherche?

Stephen Ellcock : Je passe beaucoup de temps à me perdre sur Internet. J’ai constitué une liste de liens utiles et de ressources pour me repérer plus facilement. Ma façon de collecter des fichiers est chaotique et hasardeuse mais elle fait sens pour moi, ce qui fait que j’arrive assez rapidement à trouver ce qu’il me faut. après tout ce temps passé à faire ce genre de recherches, et grâce également au côté quelque peu obsessionnel de l’exercice, j’arrive désormais facilement à localiser les choses dans les méandres les plus cachés du net. Des sites tels que les archives d’internet et archive.org, dont le but ultime est de cataloguer et scanner tout livre existant, ont été d’une aide précieuse. Une bonne utilisation des mots clés dans les moteurs de recherche est également essentielle. Le seul obstacle auquel j’ai été confronté jusqu’à présent est celui des institutions et des musées, notamment japonais et chinois, à cause de la barrière linguistique.

La rencontre avec certaines images se fait aussi dans les musées ou les galeries. Je suis fier de dire que j’ai manipulé l’une des volvelles présentées dans le livre – celle avec le dragon. Le bibliothécaire du Magdalen College d’Oxford m’a montré quelques volvelles de leur collection. Ce sont des objets énormes, très complexes mais incroyablement robustes. Dans certains exemplaires il manque les perles qui servent de poids au bout des cordes mais elles fonctionnent encore très bien.


Volvelle, ou carte tournante, conçue pour calculer les phases du soleil et de la lune, les positions des planètes et des éclipse, créée par Michael Ostendorfer et reproduite dans Astronomicum Caesareum de Petrus Apianus, 1540

Jane Laing : En recherchant les images pour le livre, avez-vous constaté une récurrence des même quêtes de motifs, d’ordre et de sens à travers l’histoire et dans différentes cultures, même si exprimés de façons diverses?

Stephen Ellcock : Effectivement, il y a une récurrence de motifs, d’ordre et de sens. Cela se manifeste de plusieurs façons, avec des symboles, des langages visuels, des tendances et des expressions mais aussi des supports divers. Le principal moteur à travers l’histoire, en tant que résultat d’un effort créatif ou bien scientifique, est la volonté de donner un sens aux choses, de s’ancrer et de trouver notre place dans cet univers complètement chaotique, angoissant et en apparence dénué de sens. La recherche de motifs est tout simplement un moyen d’éviter le chaos.


Courtepointe, motifs de blocs avec signatures de huit présidents des États-Unis et figures clés du monde scientifique et artistique, Adeline Harris Sears, commencée en 1856

Jane Laing : Avez-vous rencontré des difficultés inattendues lors de la rédaction du livre ? Y a-t-il eu des conflits avec des artistes dont vous vouliez inclure le travail, par exemple ?

Stephen Ellcock : Être le plus représentatif possible, inclure des images d’autant de cultures et d’époques différentes, c’est un vrai défi. Évidemment, je n’ai pas de connaissances spécialisées dans toutes les cultures et toutes les époques, donc mes choix d’images ont tendance à être influencés par ce qui me touche visuellement de façon immédiate. Mais je pense qu’il est extrêmement important d’être aussi inclusif que possible, de montrer des artistes d’une grande variété de cultures, et certainement pas d’être eurocentré. Je tiens tout particulièrement à inclure le plus possible la vision du monde propre à la culture islamique – hindoue, bouddhiste, jaïn. Ce que j’aime vraiment dans la recherche et l’assemblage d’images, c’est le fait d’en apprendre davantage sur les différentes façons de voir le monde. Il y a probablement une prédominance d’images liées aux cultures occidentales à cause de la facilité d’accès aux données, mais je pense avoir trouvé une forme d’équilibre. Dans le chapitre sur les mathématiques et la géométrie, j’ai inclus des modèles mathématiques indiens et pour les cartographies de l’univers, il y a des représentations d’origines très diverses. Je suis très fier de ce que nous avons réussi à inclure dans le livre.

Représentation à l’encre et à la gouache de Loka Purusha, Rajasthan, Inde, v. 1900

Jane Laing : Les conceptions de la Grèce antique de l’âme du monde et des tentatives de trouver des correspondances entre le ciel et la terre ou entre la nature et le corps sont exprimées dans de nombreuses images du livre. Quelle est selon vous la résonance de ces idées dans le monde d’aujourd’hui ?

Stephen Ellcock : C’est un moment de crise, tout particulièrement ici au Royaume-Uni. Il est donc important de garder une vision d’ensemble de la vie, du lien entre nous-mêmes et le monde naturel. Nous devons garder à l’esprit notre connexion au vivant, au monde au sens large, aux humains qui nous entourent. Si nous ne retrouvons pas ce sentiment de connexion, l’humanité est condamnée et, même si la planète elle-même survit, nous emporterons avec nous la plupart des êtres vivants qui s’y trouvent.

Notre sens de l’émerveillement risque de se perdre à cause de la terrible réalité économique internationale. Les gens n’ont plus de courage d’utiliser leur imagination, ils sont transformés en drones et en esclaves pour payer des dettes. Des spots publicitaires consternants proclament fièrement que telle personne voulait être danseuse mais que finalement, elle apprend à coder. Ce genre d’approche brise les aspirations des gens et écrase toute réponse imaginative au monde. J’espère que ce livre contribuera à raviver un sentiment d’émerveillement et de surprise et qu’il permettra aux lecteurs de renouer avec certains besoins ancestraux, car je pense que c’est extrêmement important.

Ce livre a mis dix ans à voir le jour. C’est l’aboutissement d’une vision et d’idées que je n’aurais su exprimer autrement. Pendant que j’écrivais ce livre, l’envie m’est venue de lui concevoir une suite, ou plutôt un pendant, ce qui me réjouit. Le prochain livre – Underworlds (Éd. Thames and Hudson) – sera une continuation de cette vision, présentée sous un angle différent. Comme un compagnon de La Danse Cosmique, chaque livre éclairera l’autre.


Source : thamesandhudson.com